L’accès à des couches profondes déplace petit à petit le bébé dans son passé. La répétition de certains phénomènes réactionnels m’a autorisé à émettre des hypothèses qui ont été corroborées par la lecture d’illustres auteurs – pédiatres, psychanalystes, psychologues – tels que Winnicott, Brazelton, Dolto, Soulé, Golse, Fain, Kreisler, Cohen-Solal, Barral, Filliozat, Gold. Ces éminents spécialistes en psychologie soulignent l’importance de la relation tripartite bébé, parent, thérapeute. Même pour un ostéopathe, où pour tous autres professionnels en lien avec les enfants, ces relations sont à considérer avec autant d’importance que le geste technique.
Peut-on traiter un bébé sans prendre en compte les liens qui unissent un parent et son bébé ? Peut-on imaginer un bébé en souffrance sans que sa maman « suffisamment bonne » (Donald W. Winnicott) le perçoive ? Que dire des compétences sensorielles du bébé qui somatise ce que les parents se cachent, et lui cache « culturellement » ?
Ce qui me saute aux yeux et que je valide dans mes mains au quotidien, c’est la relation inclusionnelle entre la mère et son bébé. C’est un peu comme si, physiquement et dans son schéma corporel, le bébé est encore en elle. Il est également la matérialité du baromètre émotionnel de sa maman – de ses parents devrais-je préciser. Je ne peux que m’émerveiller de la puissance de ce lien et dans ma pratique, je suis bien obligé de m’adapter à cette réalité « naturelle », en envisageant un traitement qui soit utile pour la diade mère-enfant, pour la triade si le papa est présent. Parfois plusieurs générations accompagnent le petit et sa maman. En plus du traitement « tissulaire », les informations que j’essaime pendant la consultation chemineront dans la tête et le « cœur » de chaque membre de la « tribu » pour le plus grand bonheur du dernier être aimé de la famille.
L’ostéopathie « infantile » en libéral a un avantage dont ne disposent pas forcément les pédiatres ; celui de pouvoir prendre du temps. Le temps est primordial dans toute écoute et dans l’écoute tissulaire en particulier. Cet espace temps je l’aménage pour qu’à ma posture « technique », puisse être intégrée une attention particulière aux émotions parentales.
C’est à cette période « primitive » que le regard de la mère, les bons soins qu’elle prodigue à son bébé dans la continuité, ses capacités au portage psychique, édifient par une mise en sécurité les fondations d’un édifice psychique solide (« le Self »).
Si le bébé pleure souvent, tète et dort mal sans que la maman ne trouve de solutions, il se pourrait que le regard qu’elle pose sur son petit porte des sentiments autres que de l’amour et de la bienveillance. Que ressent alors le bébé si sa maman désespérée pense être une mauvaise mère ?
Quelque soit le motif de consultation, la dimension psychique est à évaluer au même titre que la dimension physique. Le bébé doit être abordé dans son ensemble, et non pas bouts par bouts sans se préoccuper de son environnement proche. Dans le cas d’une dysfonction, la part psychique peut prendre le pas sur la part physiologie. Ne pas admettre cette criante vérité c’est mettre en danger les fondations de la santé psychique du bébé et de l’interaction mère-enfant. L’avenir, à plus ou moins long terme, le confirme par le comportement défaillant de l’enfant.
Attention, hors de question, à moins d’en avoir les compétences, de se substituer à l’avis d’un psychiatre, pédopsychiatre ou psychologue. Mais il n’est pas interdit, de s’intéresser au vécu de la grossesse, de l’accouchement et de l’après accouchement, de poser quelques questions sur l’environnement familial proche et plus éloigné, de intéresser aux événements marquants, alors que l’ostéopathe est « branché » aux tissus du bébé, bien sûr. En toute simplicité, dans un but de prévention, l’ostéopathie se doit d’intégrer à ses outils spécifiques l’accompagnement thérapeutique.
Je reprends une expérimentation exceptionnelle de Donald W. Winnicott dans « Le bébé et sa mère » pour illustrer une forme de proximité entre les approches psychologique et ostéopathique. Je m’excuse par avance auprès des « Winnicotiens », de détourner les propos qui suivent au profit de ma profession. Winnicott y décrit la cure analytique d’une patiente suicidaire. La régression permit à cette patiente de revivre une expérience particulièrement traumatisante. En effet la mère de cette adulte alors qu’elle était nourrisson, reproduisait toutes les vingt minutes, le test du réflexe de Moro qui consiste à lâcher un peu la tête du bébé pour obtenir une réaction réflexe prévisible. « …J’ai fait avec elle quelque chose d’exceptionnel dans ma pratique : je me suis retrouvé à côté d’elle sur le divan, tenant sa tête dans ma main. Un tel contact physique est rare dans le travail psychanalytique et j’ai fait là quelque chose de très vilain et de totalement étranger à la psychanalyse. Je voulais lâcher sa tête pour voir si le réflexe de Moro se manifestait encore…Elle eu une violente crise d’angoisse, et cela parce qu’elle était clivée. Il nous fut alors possible de poursuivre notre travail et de découvrir la signification psychologique de cette crise d’angoisse. Ma patiente me dit ce qui était arrivé à son self infantile et m’apprit que, à ce moment-là, le cercle unique s’était transformé en deux cercles. Cette expérience est un exemple du clivage de la personnalité dû à une défaillance spécifique de l’environnement facilitant, qui n’a pas laissé place à la croissance du moi ».
Ce cas précis de traumatismes répétés au même endroit me parle ; dans ma pratique je pars d’une écoute du langage du corps pour venir pointer une zone qui a été particulièrement contrainte et qui souvent empreinte de peur. La peur est présente lorsqu’il y a clivage d’un volume en deux sous volumes avec des glissements entre les sphères. Ce clivage subsiste toute la vie avec des conséquences physiques qui, mélangées une forme d’angoisse, favorisent un « mal-être » du bébé. Grâce à ce cas je comprends les effets délétères d’une intégration[1] impossible avec ses répercussions sur la construction du « moi ».
[1] Phase de construction de la personnalité du bébé.